Une grande partie de la communauté française au Cambodge est binationale. Ce mois-ci, nous vous présentons Chanthary et Abey. Ils ont grandi en France et ont décidé de venir s’installer dans leur pays d’origine. Ils nous expliquent leur démarche respective avec leurs motivations et leurs appréhensions avant le grand départ. Leur parcours de vie respectif, atypique et enthousiasmant, encouragera sûrement d’autres candidats. Il n’y a pas d’âge pour prendre certaines décisions pour son destin, il y a une volonté plus forte que tous les obstacles. C’est ce que nous démontrent tous les franco-khmers qui ont réalisé ce retour aux sources. Les histoires sont toutes uniques, nous aurons d’autres occasions de vous en partager prochainement.
Chanthary Long-de Dieuleveult,
25000 km de route et d’aventure pour vivre au Cambodge
(photo de Chanthary chez elle)
Avec Amaury, mon mari, la décision de nous installer au Cambodge a été prise en 2016. Et nous avons réalisé ce vœu en 2017.
Je dois reconnaître que nos familles respectives ont été surprises par ce choix mais aussi par la manière insolite de parcourir la distance entre la France et le Cambodge. Elles étaient dubitatives jusqu'au jour du départ... Ma sœur m’a d’ailleurs fait cette remarque qui résumait bien le sentiment général de ma famille : "tu as trop été habituée au confort en France. Tu n'arriveras jamais à vivre dans un pays comme le Cambodge".
Pendant un an, nous avons donc préparé notre expatriation avant de nous lancer dans cette folle aventure. Le challenge était d'aller au Cambodge par voie terrestre. Un périple de 25000 km à bord de notre Nissan Patrol de 1991 ; il a été entièrement révisé par les soins de mon mari. Cinq mois de voyage mais une expérience mémorable et extraordinaire.
Mes racines familiales sont à Pailin, mes grands-parents, mes parents, mes deux frères et ma sœur y sont nés aussi. Je suis née à Chanthaburi en Thaïlande. J'ai vécu 24 ans à Toul en Lorraine. Titulaire d’un BTS professions immobilières, j’ai exercé ma profession en qualité de commerciale, dont près de 15 ans dans le secteur de l'immobilier. Depuis 18 mois je suis chargée de Clientèle pour une grande banque française à Siem Reap.
A ce stade de l’entretien une question arrive naturellement. Regrettez-vous votre choix ?
Si c'était à refaire, je l'aurais fait bien avant, déclare Chanthary avec son franc-parler naturel. Je n’ai aucune intention de retourner vivre en France, surtout pas dans le contexte actuel. Les mesures anti-Covid19 me paraissent aberrantes.
Il fait réellement bon vivre au Cambodge où le climat me convient. Le bonheur des choses simples est une vraie richesse à mon sens. Les cambodgiens ne sont pas stressés. Ici, on vit à son rythme, on aime se réunir en famille et entre amis, on chante, on danse, comme un air d'insouciance...
Le couple continue d’explorer le Cambodge, souvent à moto. Ils partagent la passion de la découverte et de l’authenticité et vont à la rencontre des populations.
(Chanthary et Amaury en
tenue traditionnelle le jour de leur mariage)
La France, précise Chanthary, nous a offert l'opportunité d'avoir une vraie éducation, de construire notre carrière professionnelle… Je ne remercierai jamais assez la France, notre terre d'asile, pour la chance qui a été accordée à notre famille en tant que réfugiés politiques.
Cependant, j’encourage les cambodgiens de France à vivre au Cambodge. Je leur dis avec sincérité : «N'ayez plus peur de votre pays, il est en sécurité ! Ce n'est plus le pays que vous avez connu ou celui que vos parents vous ont décrit. Aujourd'hui, aidons ensemble notre pays d’origine à se développer, en partageant nos savoir-faire, en créant des emplois… Faisons des actions pour soutenir nos compatriotes qui ont eu moins de chance que nous, réfugiés en France.».
Evidemment, j’ai douté parfois lors de la préparation du voyage. C’est légitime. Mes craintes étaient surtout liées à Amaury mon mari. Nous avions visité ensemble le Cambodge deux fois seulement avant notre installation définitive. Il a eu un réel coup de cœur pour mon pays malgré le choc culturel. Aujourd'hui, nous vivons à Siem Reap. Il est comme un poisson dans l'eau et il n’envisage pas un retour en France.
Ce qui me préoccupait aussi, confie Chanthary, c’était mon insertion professionnelle sans une bonne maîtrise de la langue khmère. Je parle le khmer mais avec un niveau basique. Finalement, ces craintes se sont aussi effacées dès notre arrivée.
L’intégration n’a pas été simple pour moi les premiers mois... Les locaux pensaient que j'étais une étrangère, coréenne ou japonaise voire pour certains chinoise ou vietnamienne (LOL), car physiquement je ne suis pas typée khmère. On ne s'adressait à moi qu'en anglais, mais je répondais en khmer. J'ai dû raconter mon histoire des centaines de fois, comme si je devais me justifier… On me considérait comme une étrangère.
Désormais, je prends avec beaucoup plus de légèreté les échanges avec mes compatriotes lorsqu'on me dit que je parle très bien khmer. Si on me demande depuis combien de temps je vis au Cambodge, je ne raconte plus mon histoire et ne précise pas que je suis khmère mais seulement que je suis installée depuis 2017... On me félicite systématiquement pour ma maîtrise du khmer en tant qu'étrangère en si peu de temps ! A cette évocation, Chanthary sourit malicieusement et poursuit « Les khmers portent de l'intérêt aux personnes qui les entourent et leurs questions ne sont ni offensives, ni provocatrices». J'ai des origines thaïes/birmanes/chinoises, et khmères aussi. Mais intérieurement je me sens juste khmère !
Mon enfance en France n'a pas été simple non plus, mais ce n'était pas un cauchemar pour autant. J'en garde un bon souvenir car cela m'a permis de construire ma personnalité. J'aurais été différente si j'avais toujours vécu au Cambodge mais je ne regrette rien. Les enfants sont méchants et attaquent par ignorance. J’ai donc subi des réflexions racistes telles que "chintok"! Forcément, j’en ai souffert mais je n'en tiens pas rigueur à ces enfants, ni à la France. Je refuse de «me victimiser » ; je préfère m'armer de la rage de vaincre. Ainsi, j’ai forgé ma personnalité grâce aux injures, au soutien de mes parents durant mes études et ma recherche d'identité. Cela m'a menée dans mon pays d'origine. J’ai autant de fierté d'être française que khmère.
Pour conclure cet entretien, nous avons demandé à Chanthary si d’autres membres de sa famille envisageaient de suivre sa démarche.
Mes deux frères et ma sœur, entre autres, aimeraient venir en retraite ici. Le fait que la benjamine y soit installée les rassurent me disent-ils. Ils ont vécu des atrocités durant le régime des khmers rouges. Et même s'ils ont occulté cette période de leur vie (âgés entre 6 et 10 ans à notre départ du Cambodge), inconsciemment ils doivent encore ressentir cette horreur… A 86 ans, mon papa est trop âgé pour venir s'installer au Cambodge.
"Abey" - Seng Saravuthy,
Footballeur professionnel du championnat Cambodgien
(Abey et son frère Métrisak en 2019)
La découverte de mon pays d’origine a eu lieu en 2017 dans le cadre de vacances familiales, dit Seng Saravuthy, ce jeune homme jovial que l’on nomme Abey. Je suis né à Argentan, en Normandie, dans une famille de 5 enfants.
Mes parents, originaires de Kampong Speu, nous ont transmis les valeurs de la culture Khmère et nous parlons le cambodgien chez nous. Ce séjour a été l’occasion de faire la rencontre du cercle familial dans cette province, mais aussi à Phnom Penh et Siem Reap. J’ai aussi pris conscience de l’engagement de mon grand frère Metrisak Moun auprès des communautés locales. Je suis très admiratif de son dévouement. En bref, j’ai été charmé par le mode de vie d’ici.
De retour en France, j’ai poursuivi ma préparation physique, mais aussi renforcé mon mental. C’est fondamental au moment de prendre la décision d’un grand changement de vie. C’était un véritable challenge personnel, confie Abey. Je me suis interrogé sur ma capacité réelle à prendre ce risque et à sacrifier beaucoup de choses pour réaliser ce que j’ai toujours désiré.
Alors, je me suis dit pourquoi ne pas tenter ma chance de réaliser mon rêve d’enfance au Cambodge : devenir joueur de football professionnel.
Dans cet objectif, Abey a contacté Thierry Chantha Bin, un joueur franco Cambodgien afin de se renseigner sur la situation du football au Royaume du Cambodge. “Il m’a permis de faire des tests au Phnom Penh Crown FC. J’y ai signé mon premier contrat professionnel en 2019. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir accordé cette chance” ajoute le jeune homme avec une joie immense.
C’était une sorte de revanche sur mon destin. A 14 ans, mon rêve de devenir joueur professionnel s’est brisé. Une blessure, quelques jours avant un stage de sélection, promotion 1994, à l’Institut National du Football à Clairefontaine, m’a immobilisé plusieurs semaines mais elle m’a surtout déstabilisé moralement.
J’ai étudié et obtenu un BTS Négociation/Relation client. J’ai été vendeur, 5 ans, chez Zara à Caen. Cette expérience professionnelle m’a apporté beaucoup de maturité et de satisfaction. Parallèlement, j’ai joué à l’AS PTT Argentan, jusqu’à 19 ans. C’est le club où j’ai débuté à l’âge de 9 ans. C’est mon frère Métrisak qui m’a poussé à m'inscrire, précise Abey. Il m’a toujours encouragé à persévérer. Son influence est positive.
Je me souviens parfaitement de la réaction de ma famille lorsque j’ai annoncé ma décision de vivre au Cambodge. Il y a eu d’abord un effet de choc, mais en fait tous étaient heureux pour moi. Ils m’ont toujours soutenu dans mon souhait de faire une carrière de footballeur. Ma Maman a mis plus de temps à réaliser la situation. A vrai dire, elle l’a juste fait au moment de mon départ. Ses pleurs et sa tristesse m’ont énormément touché et attristé, mais finalement elle a décuplé ma motivation. Je me suis dit qu’il me fallait absolument réussir et aboutir dans ce projet afin de ne pas les décevoir et aussi rendre toute ma famille fière de moi.
Abey n'a aucun regret car il est vraiment heureux ici. Il ajoute : “Je peux compter sur le soutien permanent de ma compagne, ainsi que celui de ma famille et de mes amis. Cela me procure un bon équilibre. Je me lève tous les jours en me disant que j’ai fait le bon choix puisque je vis ma passion : jouer au football dans un championnat.
Cette saison je joue sous les couleurs du Kirivong Sok Sen Chey F.C, basé dans la province de Takéo. L’équipe est très cosmopolite et cela me convient bien, c’était le cas dans mon club en France. La mixité culturelle est une force pour moi. Je travaille beaucoup dans l’espoir d’être sélectionné dans l’équipe nationale du Cambodge. Ce serait formidable de participer aux prochains jeux d’Asie du Sud-Est, à Hanoi en Novembre prochain”.
(Abey a participé au dernier défilé du créateur Eric Raisina)
Mon intégration a été simple car je parle le khmer. J’ai confiance en moi, c’est une force qui me permet de m’adapter rapidement aux diverses situations. Le pays et la population sont merveilleux. J’apprécie tellement de vivre ici alors je ne ressens aucun stress. Ce qui est le plus compliqué à accepter au début, c’est d’être considéré comme étranger alors qu’on est khmer. En France, nous sommes étrangers et ici également. Alors, on comprend la réalité des choses. Il faut s’adapter et accepter ce statut.
Pas franchement de conseils à donner mais, je recommande à chacun de vivre pleinement son aventure, de tenter sa chance afin de ne pas avoir de regrets. Que le projet soit un succès ou pas, le but principal est d’essayer pour savoir et vivre sans regret. Il y a toujours des choses qu’on aurait pu forcément faire autrement, mais cela fait partie de l’aventure. Pour moi, il n’y a ni bonne, ni mauvaise expérience, tout est bon à prendre. Chaque expérience me permet d’apprendre et de m’améliorer, donc c’est toujours positif.
Mes parents et mes sœurs vivent bien en France. Une sœur est domiciliée en Belgique. Eux n’envisagent pas de venir ici pour le moment. Mon frère Metrisak, lui, est impatient de revenir dès que la situation sanitaire le permettra.
Après sa carrière de joueur, Abey aimerait devenir entraîneur professionnel au Cambodge. Il lui faudra auparavant obtenir un diplôme, en France de préférence. “Dans quelques années, je rêve de fonder un centre de formation (Académie de football) afin de transmettre ma passion aux futures générations de joueurs nationaux et bi-nationaux” conclue-t-il.
Il est encore jeune, alors Abey se concentre sur le moment présent, afin d’évoluer et réussir sa carrière de joueur.
Propos recueillis par Françoise Gouézou
Crédits photos : Merci à Eric Raisina pour l'accord de diffusion de la photo réalisée par Jérémie Montessuis.
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