L’interviewer interviewé ! Connu des Françaises et Français de Siem Reap pour avoir été durant plusieurs années le correspondant Cambodge Mag à Siem Reap, Français au Cambodge - Plus Forts Ensemble ! part aujourd’hui à la rencontre de Rémi Abad, qui vient d’ouvrir, avec ses associés, la galerie Kasaya.
Notre 1ère question est un classique ! Comment es-tu arrivé au Cambodge, qu’est ce qui t’a amené à venir t’établir ici et d’où viens-tu ?
Bonjour, Français au Cambodge - Plus Forts Ensemble ! Et merci pour cet entretien. Commençons par le commencement, à savoir d’où je viens… Je suis originaire du Sud de la France, natif d’Aubagne, un lieu bien connu des lecteurs de Marcel Pagnol. Le Garlaban, les collines dans lesquelles il fait bon crapahuter, les senteurs de thym et de romarin, le chant des cigales et les horizons violets de lavande, tout cela était le décor de ma jeunesse. C’était une période heureuse, malgré des parents divorcés et une mère qui peinait à joindre les deux bouts. Pourtant, je n’ai jamais manqué de rien. C’est d’ailleurs ma mère qui m’a initié à la photo, et je conserve précieusement son vieux Nikon.
J’ai ensuite enchaîné diverses professions, de vendeur de vins à technicien informatique. C’est dans cette branche que j’ai intégré la Fonction publique territoriale. Mais la sécurité de l’emploi et un relatif confort ne me convenaient pas du tout. Au fur et à mesure que les années passaient, la crainte d’une vie “plan plan”, sans relief et sans surprise, m’angoissait de plus en plus. J’ai pas mal bourlingué en Europe, avant de découvrir l’Asie et le Cambodge en 2012. Ce fut une véritable révélation. Quelques mois plus tard, j’entamais ma nouvelle vie à Siem Reap, posant des valises qui n’ont depuis plus bougé.
Tu as fait de la photo ta profession, peux-tu nous expliquer ton métier ?
C’est un métier fabuleux. Que ce soit dans le cadre d’une profession ou qu’il s’agisse d’un simple hobby, la photographie est l’une des activités les plus complètes. En appuyant sur le déclencheur, vous documentez un lieu, des personnes, un événement ou une situation. Ces quelques centièmes de secondes resteront à jamais figées. Y penser donne le vertige ! Et puis, la photographie vous pousse vers les autres. C’est un exhausteur de vie et une formidable source d’empathie. Enfin, lorsque vous vous baladez avec un appareil photo, tous vos sens sont amplifiés. Vous allez être attentif au moindre détail, du micro au macro, et l’aspect visuel va devenir un mode de pensée à part entière. C’est un jeu, une quête de l’image, mais aussi, en ce qui me concerne, un besoin vital, une sorte de respiration. Je ne m’imagine pas arrêter un jour de faire des photos.
Entre parenthèses, parlons un peu de l'étymologie du mot “Photographie”: en grec, cela signifie littéralement “écrire avec la lumière”. Quoi de plus poétique ?!?
Plus concrètement, ma profession se résume à deux aspects distincts : un travail personnel, qui consiste à documenter le Cambodge en général, sans aucune barrière. Le seul élément prépondérant pour moi est la présence de quelqu'un dans le cadre, l’humain étant le sujet de base. Une fois cela établi, toutes les déclinaisons sont possibles. J’arrive à en vivre car, au milieu de ces milliers d’images, quelques-unes seront exposées et, avec un peu de chance, vendues.
L’autre aspect de ma profession consiste à faire découvrir le Cambodge par le prisme de la photographie. Alessandro Vannucci et Régis Binard m’ont invité à rejoindre Angkor Travel Photography. Toutes sortes de gens, qu’ils soient amateurs ou professionnels, font appel à nos services pour vivre une expérience différente, hors des sentiers battus, avec des tours dans les temples, mais aussi une immersion dans la vie locale. Nous revenons là à ce que je vous disais à propos du pouvoir de la photographie : c’est un magnifique prétexte pour partir à la découverte de l’Autre.
Tu as longtemps écrit pour Cambodge mag et d’aucuns disent que tu as une plume affûtée que nous avons plaisir à lire, comment concilier l’image et les mots ?
Travailler pour Cambodge Mag a été une expérience d’une grande richesse. Cela me fait penser à un autre avantage de la photographie que j’ai oublié de mentionner : la légitimation de la curiosité.
Être journaliste ou photographe vous donne le droit de pousser des portes que vous n’auriez jamais osé franchir sans cela. L’un ne va pas sans l’autre : être curieux vous donne l’opportunité de faire de belles images, mais si vous n'êtes pas curieux, vous ne produirez rien d'intéressant !
Grâce à Cambodge Mag, j’ai pu assister aux coulisses de grands événements, mais aussi croiser des parcours tous plus incroyables les uns que les autres. Certains m’ont vraiment marqué. Ces années passées à documenter le Cambodge m’ont permis de mieux saisir un pays dont la complexité ne cesse de surprendre.
Quand tu demandes comment concilier l’image et la photo, la démarche est un peu spéciale lorsqu'on est tout à la fois rédacteur et photographe. L’image va alors venir appuyer un propos, apporter plus de détails, ou tout simplement illustrer l’article. L’approche est tout à fait différente lorsque vous êtes uniquement photographe : il vous faut alors créer une image qui tienne d’elle-même, qui ait assez de force pour raconter une histoire. Une photo se doit d’intriguer, de donner envie d’en savoir plus, ou tout simplement d'établir une connexion mentale avec le sujet. C’est un jeu à trois personnes, qui implique ce qui est représenté, l’observateur, et le photographe.
Kasaya est votre nouveau projet, qui est derrière, où est-ce, qu’y trouve-t-on ?
Régis, Alessandro et moi sommes des photographes passionnés, résidant chacun au Cambodge depuis plus d’une décennie. Autant te dire que nous avons des tonnes d’images dans nos archives ! Alors, quand nous avons vu ce local à louer, l’idée de créer une galerie photo s’est imposée. Tout est ensuite allé très vite : la décision a été prise fin juin, et nous avons ouvert le 1er septembre. Tout n’est pas parfait, nous procéderons sûrement à quelques ajustements, mais nous sommes en tout cas soulagés et fiers d’avoir pu mener ce projet à terme. L’idée est de montrer notre amour pour le Cambodge en affichant certaines de nos photos, avec nos regards parfois différents. Nous allons aussi ouvrir nos murs à des artistes et des événements divers, tout en organisant des expositions thématiques temporaires. Nous nous apprêtons aussi, ces prochaines semaines, à lancer notre boutique en ligne. Cela nous permettra d’envoyer nos tirages un peu partout dans le monde, au Cambodge comme en France !
Si l’on veut faire un tour photo avec Rémi, Régis ou quelqu’un d’autre de la bande, comment fait-on ?
Vous pouvez nous contacter par le biais de notre site internet, qui contient tous les détails sur nos tours. Que vous soyez intéressé par les temples, les paysages, la vie locale ou la campagne, nous aurons forcément quelque chose à vous proposer !
Pour conclure, en dehors de Siem Reap, quelle est ta ville ou ton village préféré au Cambodge, quel est ton plat préféré, quel est ton mot khmer préféré ?
Je demeure très attaché à Siem Reap, car c’est un lieu qui me correspond. On y trouve tout ce que l’on désire, la ville est belle, la campagne à quelques tours de roue vous plonge au milieu des rizières et des lacs. Les temples sont à portée de main et constituent une inextinguible source d’inspiration et de zénitude. Les fêtes sont incroyables, qu’il s'agisse des cérémonies bouddhistes ou des grandes festivités telles que Bon Om Touk ou le Nouvel an Khmer.
Je ne me lasserai jamais d’inviter les visiteurs à rester le plus longtemps possible à Siem Reap, ou tout du moins au Cambodge. Il s’agit encore malheureusement pour beaucoup d’une destination secondaire, couplée avec un séjour en Thaïlande ou au Vietnam. On vient voir Angkor, peut-être un peu Phnom Penh, et puis c’est tout. On a “fait’ le Cambodge. Mais que nenni ! Il faut rester au moins deux semaines pour commencer à entrevoir toutes les richesses de ce pays. Le point positif est que de nombreux touristes de passage reviennent tôt ou tard, séduits par la magie du Royaume.
(Interview en anglais)
Pour ma part, j’aime le Cambodge plus que n’importe quel autre pays, c’est ma patrie de cœur, ma vie est ici.
Pour répondre à tes questions sur la gastronomie et le vocabulaire… Dur dur ! Si je suis un peu mitigé sur les abats et les œufs couvés, je suis en revanche un grand amateur de cuisine populaire. Donne-moi un Num banh chok, un Kuy Teav, un Lort Cha ou quelques beignets à la banane achetés au bord de la route, et je serai le plus heureux du monde !
Quant au vocabulaire… Disons “Soursdey” (salut) et “Orkun” (merci). Non pas qu’ils sonnent particulièrement bien, contrairement à certains mots aux sonorités bien plus chantantes. Mais tout simplement parce que ce sont les premiers que l’on apprend et ceux dont on se sert le plus au quotidien.
Pour aller plus loin :
Propos recueillis par Florian Bohême.
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